Le néocolonialisme inter-culturel
Le racisme est une des idéologies néfastes qui semblent causer beaucoup de problèmes d’interprétation dans le monde actuel. À droite, à gauche et au centre de l’échiquier politique, des gens “ordinaires” aussi bien que des grands intellectuels ont souvent beaucoup de difficulté à bien cerner le sens de la hiérarchisation raciale, qui peut dépendre de la discrimination favorable à un groupe “racial” désigné, autant que de la discrimination contre un autre groupe. Bien sûr, dans tous les cas, tous les groupes humains aimés ou détestés en tant que “races” ne sont que des constructions idéologiques, puisque le phénomène “race” n’existe pas du point de vue biologique. Malheureusement, le racisme semble s’appliquer aussi à la discrimination culturelle, les gens racistes voulant disséminer depuis quelque temps leur idéologie devenue honteuse derrière un écran plutôt translucide de hiérarchisation culturelle.
Un aspect très important de la réalité idéologique, qui est à l’origine de plusieurs de ces problèmes d’interprétation du racisme, est la division historique entre le monde occidental et le monde “oriental”, ou non-occidental. Pendant la période dite coloniale, du 15e au 20e siècles, plusieurs pays impérialistes provenant de l’Europe ont fondé des grands empires coloniaux dans plusieurs régions non-européennes. Ces empires ont fait la conquête, complète ou partielle, de la quasi totalité des autres civilisations humaines, sur tous les continents. La plupart de ces conquêtes sont devenues des colonies de pillage, établies en Asie, en Afrique, en Amérique latine et même en Océanie, ce qu’on appelle encore de nos jours le tiers-monde. Le but initial de ce colonialisme a été de piller des ressources naturelles de ces très nombreux pays, mais ces mêmes empires ont aussi pillé la force de travail de plusieurs millions d’esclaves (sans salaires) de ces pays colonisés, ainsi que de plusieurs millions d’autres travailleurs sous-payés.
Ces empires européens ont aussi fondé plusieurs colonies de peuplement, surtout en Amérique du Nord, en Sibérie et en Australasie, envoyant dans ces régions plusieurs millions d’Européens “en surplus”, fortement encouragés (souvent par la famine) à émigrer vers ces colonies. Après quelques décennies, ils sont devenus la majorité de la population dans plusieurs de ces colonies, les populations autochtones ayant été largement fauchées entre-temps par des épidémies importées, des famines et du mauvais traitement, comprenant de nombreuses tentatives de génocide.
Parmi ces pays impérialistes, dominant chacune des deux sortes de colonies, il y avait non seulement le Portugal, l’Espagne, les Pays-Bas, la France, la Grande-Bretagne et la Russie, mais aussi la Belgique, l’Italie et l’Allemagne. En cours de route, quelques petites colonies de peuplement, établies sur la côte atlantique de l’Amérique du Nord, se sont fusionnées ensemble pour devenir les États-Unis d’Amérique, un pays qui s’est rapidement devenu un nouvel empire occidental vers la fin de cette même période coloniale. D’autres anciennes colonies de peuplement, qu’on appelle de nos jours le Canada (et le Québec), l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ont pratiqué une forme de colonialisme plutôt régional. Pour sa part, le pays qu’on appelle aujourd'hui la Russie fédérée comprend encore la plupart des colonies (de pillage et de peuplement partiel) de l’ancien Empire russe, qui se transformait pendant quelques décennies en Union soviétique (1922-1991).
Par la suite, la plupart des anciennes colonies de pillage ont inauguré un processus, souvent très violent, de décolonisation politique, surtout centré en Amérique latine au 19e siècle, mais centré davantage en Asie et en Afrique au 20e siècle. De nos jours, toutefois, le monde occidental continue de pratiquer très souvent un néocolonialisme axé sur la domination économique. Même des pays n’ayant jamais été des colonies formelles (politiques) des pays occidentaux, tels que le Japon, la Chine, la Turquie, la Perse (l’Iran) et la Thaïlande, ont subi des périodes plus ou moins longues de néocolonialisme économique. Le Japon, économiquement dominé par plusieurs pays occidentaux entre 1854 et 1899, a néanmoins réussi au 20e siècle à devenir le premier pays asiatique à établir son propre empire colonial (moderne), en imitation de l’Occident, jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ce même pays pratique encore de nos jours une forme de néocolonialisme économique dans quelques-unes de ses anciennes colonies formelles, souvent en association avec les États-Unis.
Pour sa part, la Chine a pris un siècle (1842-1943) pour sortir de la division de son territoire en trois zones économiques, imposées par des empires étrangers (la Grande-Bretagne, la France et la Russie, dont la place a été repris en cours de route par le Japon). Après la guerre civile de 1945-1949, la plupart de la Chine, devenue la République populaire, a retombé brièvement sous la domination politique et économique de l’URSS, jusqu’en 1960, tandis que l’île de Taiwan, occupée par l’ancien gouvernement “nationaliste”, est restée une néo-colonie des États-Unis. À partir de 1979, cependant, la Chine populaire a décidé d’accepter son nouveau rôle subalterne (néo-colonial), de réserve principale de travail industriel sous-payé pour les pays les plus riches du monde capitaliste, dans le but de devenir le nouvel ”atelier du monde”. De nos jours, elle a même réussi à utiliser ce grand développement industriel pour participer, elle aussi, à la domination néo-coloniale de plusieurs autres pays de l’ancien tiers-monde, en concurrence avec le Japon et les pays occidentaux. Tout en modernisant encore davantage son économie nationale, et ses forces militaires, la Chine essaie ces jours-ci de mettre l’accent sur le développement de son marché interne.
Malheureusement, toute cette histoire de domination occidentale, coloniale et néo-coloniale, ainsi que toutes ces tentatives, réussies et moins réussies, des autres pays du monde à sortir de cette domination étrangère, ont amené plusieurs millions de gens, et même plusieurs dizaines d’historiens professionnels, à adopter des interprétations erronées (mythiques) de certaines réalités politiques, économiques et sociales de notre monde. Ce n’est que récemment que quelques historiens révisionnistes ont entamé un processus de déboulonnement de ces nouveaux mythes historiques, les remplaçant par des interprétations beaucoup plus réalistes.
Un premier exemple de ce genre de déboulonnement a été l’analyse du phénomène historique de l’esclavagisme sur une plus longue échelle du temps. On a découvert que la traite des esclaves dans la région du monde qui a le plus souffert de ce phénomène destructeur, l’Afrique noire, n’a pas commencé avec les interventions occidentales. Il y avait d’abord la traite intra-africaine, les fondateurs de plusieurs grands royaumes et empires africains pratiquant l’esclavagisme à la grande échelle avec des victimes provenant d’autres peuples africains conquis par leurs armées. (Comme plusieurs autres empires l’avaient déjà fait autrefois dans d’autres régions du monde). Cette traite intra-africaine a continué à exister pendant la mise sur pied de deux nouvelles traites, d’origines extra-africaines, fournissant souvent des victimes à ces nouveaux trafiquants. La traite intra-africaine semble exister encore, même de nos jours, surtout dans des états échoués comme la Somalie, en dépit des lois récentes, adoptées par tous les pays africains actuels, interdisant ce genre de trafic humain.
Ensuite, une deuxième traite des esclaves africains, celle des empires musulmans, a commencé très rapidement après la conquête arabe du nord de l’Afrique, pendant les premiers siècles de l’expansion militaire de l’Islam. Cette deuxième traite a impliqué autant de millions de victimes que la première traite et a aussi continué pendant plusieurs siècles, avant de diminuer d’importance récemment. Plusieurs millions de ces esclaves africains ont été obligé de travailler à l’extérieur de l’Afrique, surtout en Asie occidentale. De nos jours, les gens riches et puissants de plusieurs pays majoritairement musulmans, surtout en Asie occidentale encore, maltraitent plutôt des travailleurs sous-payés provenant de pays asiatiques non-musulmans, davantage que ceux provenant encore des pays africains.
La troisième traite, celle des empires occidentaux (de l’Espagne, du Portugal, de la France, de la Grande-Bretagne, des Pays-Bas, des États-Unis et même brièvement du Brésil indépendant), impliquant autant de victimes que les deux autres mais concentrée sur un plus petit nombre de siècles, est celle qui comprend surtout la traite transatlantique. En Amérique, les esclaves africains remplaçaient les esclaves amérindiens fauchés par des épidémies importées, et parfois délibérément répandues, en Amérique par les Européens, la plupart de ces esclaves travaillant davantage en Amérique latine et dans les Caraïbes, qu’en Amérique du Nord.
Voilà le genre de déboulonnement de mythes que la nouvelle histoire, axée sur l’analyse du monde entier vu comme un ensemble, est capable de faire. Essentiellement, ce qu’on découvre dans chaque cas est que le colonialisme d’origine occidentale, et son pendant néo-colonial aussi, ne sont pas des phénomènes exclusifs à l’Occident, bien que cette région est certainement responsable des formes d’impérialisme, et de néo-impérialisme, particulièrement néfastes. Un deuxième exemple des découvertes de cette histoire universelle concerne des empires anciens qui ont existé longtemps avant le début de l’expansion occidentale, ainsi que des empires plus récents, mais d’origine non-occidentale, qui ont continué à exister, en dépit de tout, pendant la période d’expansion occidentale.
Récemment, à partir de 1945, pendant la deuxième période de décolonisation du tiers-monde, plusieurs historiens occidentaux, indignés par des cas très nombreux de crimes contre l’humanité commis par les empires occidentaux, ont attribué (de manière anachronique) à certains empires non-occidentaux des comportements moralement supérieurs. Ils ont attribué à l’ancien empire maya, par exemple, en Amérique centrale, des comportements beaucoup plus pacifiques et non-violents que des comportements des empires occidentaux. Par la suite, on a découvert que les conquérants mayas n’étaient pas du tout pacifiques, mais en réalité aussi violents, ou encore plus violents, que des conquérants de plusieurs autres empires du monde.
En dépit de ces découvertes, toutefois, certains historiens continuent à nier cet aspect de la réalité. Aussi récemment qu’en 1992, par exemple, l’historien canadien Ronald Wright a publié un brulot (Stolen Continents: The ‘New World’ Through Indian Eyes Since 1492) dans lequel il a dénoncé avec virulence la conquête européenne de l’Amérique, en prétendant encore que toutes les civilisations amérindiennes, précolombiennes, s’entendaient bien entre eux, longtemps avant leur premier contact avec les envahisseurs occidentaux. Ce qui est archi-faux.
En réalité, depuis les premiers jours d’existence de notre espèce, il y a 200 000 ans, la quasi totalité de toutes les sociétés pré-urbaines, ainsi que la quasi totalité de toutes les grandes civilisations urbaines qui existaient au monde pendant plusieurs millénaires avant l’expansion européenne, ont engendré des milliers d’invasions répétées et de conquêtes successives, impliquant plusieurs milliers de peuples rivaux. Il n’y avait presque aucune région du monde dans laquelle le même peuple s’est installé une fois pout tout, dans une même région depuis toujours, ne faisant face à aucune tentative violente de la part d’un peuple étranger visant à prendre le contrôle de cette région, appartenant initialement à un peuple véritablement autochtone. En d’autres mots, tous les peuples autochtones de toutes les régions n’étaient pas si “natifs”, “indigènes” ou “autochtones” que cela, quand les envahisseurs européens sont arrivés. Tous les peuples humains ont guerroyé entre eux, surtout pour des raisons territoriales, pendant des dizaines de milliers d’années avant l’expansion européenne. On continue encore de découvrir de nouveaux exemples de telles invasions aujourd’hui.
Ce qui distingue des empires occidentaux de tous les autres empires conquérants du monde, ce n’est donc pas leur niveau toujours plus élevé d’agressivité, ou d’immoralité, mais plutôt le caractère mondial de leurs conquêtes pendant cette période d’expansion relativement récente, impliquant par le fait même de cette mondialisation davantage de régions, et de peuples, victimes. Même l’intensité de pillage de leurs colonies n’a pas toujours été plus forte que l’intensité de pillage de tous les empires précédents, ou même que des autres empires concurrents, non-occidentaux. Les empires non-occidentaux ont aussi établi leurs propres colonies de peuplement, tout comme leurs propres colonies de pillage, avant l’arrivée des empires occidentaux, pendant cette même expansion européenne, et encore pendant les périodes de décolonisation (anti-occidentale) récentes.
C’est la raison pour laquelle il est arrivé souvent que la plupart des gens “ordinaires” des civilisations conquises par l’Occident ont adopté assez rapidement une attitude de résignation passive vis-à-vis de leurs nouveaux conquérants. Non seulement parce que leurs rébellions successives ont été régulièrement écrasées, mais aussi parce qu’ils avaient déjà connu des dizaines d’autres empires conquérants de par le passé. Cette résignation (temporaire) est aussi arrivée, pendant quelque temps, parce que ces empires occidentaux, comme plusieurs autres empires précédents, ont très fortement encouragé les anciens dirigeants des empires déjà établis auparavant, à collaborer avec eux dans l’exploitation continue de ces mêmes gens ordinaires (paysans, artisans, esclaves, etc.).
Au début du 20e siècle, par exemple, les quelques 60 000 Britanniques (civils et militaires) installés en Inde n’auraient jamais pu dominer totalement les 300 millions de sujets indiens de cette époque, comme ils l’ont fait, sans l’aide de plusieurs millions de collaborateurs locaux. Ceux qu’on appelle souvent dans les livres d’histoire des “compradores”, c’est-à-dire des marchands et des notables “autochtones” ou “indigènes” (du point de vue des dirigeants occidentaux), qui aidaient les nouveaux conquérants occidentaux à bien contrôler la population locale, comme ils l’avaient fait eux-mêmes, directement, avant l’expansion européenne. Avant l’arrivée des nouveaux maîtres occidentaux, les mêmes populations locales travaillaient pour ces mêmes marchands et notables quand c’était eux les grands dirigeants des empires pré-occidentaux.
Bien sûr, tous ces dirigeants en série, les pré-occidentaux et les occidentaux eux-mêmes, profitaient toujours de toutes les divisions politiques, sociales, religieuses et culturelles de toutes les populations conquises. Comme par exemple les divisions entre les populations hindoues, musulmanes, sikhs, et celles de toutes les autres religions minoritaires, dans les Indes britanniques. L’armée des Cipayes, par exemple, sous le contrôle de la Compagnie britannique des Indes orientales, a copié la pratique des empires précédents (tels l’empire moghol) en utilisant des mercenaires provenant des religions minoritaires dans des régions dominées par une religion rivale, majoritaire.
Ce genre de collaboration établie pendant la période coloniale (de domination occidentale) existe toujours de nos jours dans la période actuelle, dite néo-coloniale. On forme même de nos jours des nouvelles alliances entre un (ou plusieurs) néo-empires occidentaux et un (ou plusieurs) pays non-occidentaux, qui possèdent parfois des buts convergents avec l’Occident. Ainsi, par exemple, les États-Unis d’Amérique collaborent depuis 1945 avec l’Arabie saoudite, depuis l’alliance “contre-nature” entre le président américain, Franklin Roosevelt et le roi Saoud de la famille royale qui possède, littéralement, l’Arabie saoudite. Cette alliance, établie initialement pour des raisons de vente pétrolière et de protection militaire, continue encore de nos jours, dans le but de maintenir la domination conjointe de ces deux empires sur toute la région du Moyen-Orient.
La coopération entre ces deux pays impérialistes est un excellent exemple de comment le néo-colonialisme occidental a réussi à co-opter encore des collaborateurs locaux, comme la monarchie absolutiste de l’Arabie saoudite, dans leurs nouveaux projets de domination mondiale. Depuis des siècles, dans tous les pays à majorité musulmane, par exemple, les empires britannique, français et américain (en particulier) ont très activement encouragé la montée d’un islamisme ultra-conservateur, souvent terroriste, pour les aider à lutter contre l’influence anti-occidentale des mouvements nationalistes et communistes. Tous les régimes ultra-conservateurs du monde musulman ont entré en collaboration, à un moment donné ou un autre, avec au moins un pays impérialiste du monde occidental.
Avant la révolution islamiste en Iran, les États-Unis avaient réussi à collaborer à la fois avec des pays musulmans sunnites (comme l’Arabie saoudite) et shiites (dont l’Iran), comme en témoigne l’ancienne alliance entre l’empire américain et le Shah d’Iran entre 1953 et 1979. Depuis la révolution islamiste de 1979 en Iran, toutefois, les États-Unis ont tendance à privilégier leurs liens avec les pays sunnites, surtout les plus conservateurs entre eux, en tentant d’isoler l’Iran autant que possible du reste du monde. La tentative récente du président néolibéral des États-Unis, Barack Obama, visant à rétablir des liens avec l’Iran, a échoué aussitôt que son successeur néo-conservateur (néo-fasciste), Donald Trump, a pris le pouvoir. De nos jours, l’Iran collabore davantage avec la Russie, un autre empire d’origine occidentale, dirigé ces jours-ci par le régime de Vladimir Poutine, dont l’orientation idéologique ressemble, toutefois, beaucoup plus du point de vue de Trump que de celui d’Obama.
Pendant tout ce va-et-vient géopolitique entre des factions divergentes des grands empires, cependant, il ne faut pas perdre de vue l’essentiel de toute cette histoire. Le fait reste que tous les empires occidentaux, y compris la Russie, collaborent avec des régimes réactionnaires du monde musulman (entre autres) quand ça fait leur affaire. Les États-Unis peuvent bien renforcer leur alliance avec l’Arabie saoudite, en dépit du fait qu’ils savent très bien que certains princes de la famille royale de ce pays ont été très fortement impliqués dans la formation de groupes terroristes, tels qu’Al-Qaeda et l’État islamique. L’Arabie saoudite, après tout, pratique une forme de salafisme religieux pratiquement identique à celle de ces deux groupes, qu’on peut aussi qualifier de néo-fascistes.
Ce pays, et ses alliés régionaux tels que les Émirats arabes unis, peuvent bien dénoncer les liens très forts entre l’Iran et d’autres organisations du terrorisme islamiste, comme le Hezbollah et le Hamas, et essayer très fort d’isoler la principauté de Qatar pour cette raison. Ils peuvent aussi dénoncer le Qatar pour avoir appuyé des formes souvent non-terroristes d’ultra-conservatisme religieux, comme les Frères musulmans, au pouvoir en Égypte avant le coup d’état militaire de la dictature actuelle. En ce faisant, cependant, ils font preuve d’un niveau d’hypocrisie extrêmement élevé. Et cela même si leur niveau d’hypocrisie n’est pas vraiment plus élevé que l’hypocrisie des pays occidentaux (les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et le Canada) qui vendent de plus en plus d’armes sophistiquées à l’Arabie saoudite et à d’autres pays partageant la même idéologie.
En parlant d’hypocrisie, toutefois, rien au monde ne bat l’attitude de certains de ces mêmes pays occidentaux concernant leurs propres “atouts” terroristes. Le gouvernement conservateur de Theresa May en Grande-Bretagne, par exemple, a été très ébranlé par la décision du gouvernement Trump aux États-Unis, de rendre public le fait que le terroriste islamiste Salman Abedi, responsable de la mort d’au moins 22 Britanniques en mai dernier à Manchester, pouvait entrer et sortir librement du Royaume-Uni pendant les semaines précédant son attentat terroriste.
Le journaliste australien bien connu, John Pilger, a aussi révélé que ce même Abedi profitait de ce statut spécial parce qu’il était toujours un “atout” des services de renseignement britanniques. Qui l’ont utilisé encore récemment en Libye, aussi bien qu’en 2011, lors de la destruction programmée du régime Kadhafi, l’ancien dictateur d’un des états du tiers-monde actuellement transformé en état échoué, divisé entre plusieurs gouvernements rivaux, parce que jugé autrefois trop indépendant de l’Occident. Le même sort ayant subi l’Iraq de l’ancien dictateur Hussein, en 2003. Les révélations de Pilger ressemblent beaucoup aux accusations livrées autrefois par cet ancien politicien marginal des États-Unis, Lyndon Larouche, qui a fondé un groupuscule d’extrême-gauche pendant les années 1960 et 1970, avant de le transformer en groupuscule d’extrême-droite pendant les années 1980.
Le gouvernement de la Grande-Bretagne a probablement pensé jusqu’à récemment que sa politique multiculturelle d’”accommodements raisonnables” avec toutes les communautés d’immigration récente habitant son territoire, dont les communautés musulmanes, aurait pu la protéger des attentats islamistes comme ceux qui ont frappé d’autres pays occidentaux. Les attaques récentes, toutefois, ont démontré l’inefficacité totale de cette politique, au moins en ce qui concerne les groupes les plus radicaux parmi les salafistes. Même la suspension des lois sociales britanniques pour le “bénéfice” de ces communautés musulmanes, et leur remplacement par la sharia particulièrement rétrograde et misogyne, n’a eu aucun effet positif.
La complaisance officielle envers le terrorisme “islamo-fasciste" n’est pas du tout une bonne stratégie, pas plus en Occident qu’ailleurs, surtout pas dans des pays à majorité musulmane. Tous les ennemis du terrorisme, de quelque origine que ce soit, devraient plutôt dénoncer la très grande violence politique de tous ces groupes meurtriers. Ils doivent également dénoncer le terrorisme d’état, comme les bombardement aériens contre des civils, pratiqué régulièrement par les armées de plusieurs grands pays occidentaux, y compris la Russie, ainsi que par Israël et par plusieurs dizaines d’autres pays, dans toutes les régions du monde actuel.
Tous les gens non-violents devraient aussi abandonner leur appui “nostalgique” même d’anciens mouvements terroristes qui ont aussi existé en Occident autrefois, tels que le Front de libération du Québec (FLQ), qui a beaucoup affaibli le mouvement indépendantiste dans ce pays, apparemment avec la complicité de la Gendarmerie royale du Canada. Ou l’IRA (“Irish Republican Army”), qui a beaucoup contribué à la popularité des politiciens aussi antédiluviens que Margaret Thatcher en Grande-Bretagne.
Ce commentaire s’applique aussi aux anciens mouvements terroristes d’autres pays du monde non-occidental, tels que les “Tigres tamouls” de la minorité hindoue au Sri Lanka, ainsi que le terrorisme d’état du gouvernement de la majorité bouddhiste dans ce même pays. Ou les mouvements terroristes appartenant à la communauté sikh en Inde ainsi que le terrorisme d’état de ce pays, appartenant davantage à la majorité hindoue. Peu de gens savent, par ailleurs, que ce qu’on appelle “le plus grand attentat terroriste de l’histoire du Canada” a été perpétré par des terroristes sikhs, contre un avion civil d’Air India rempli de citoyens canadiens d’origine hindoue, partant de Toronto, Ontario, en 1985.
Bien sûr, la collaboration actuelle entre le néocolonialisme occidental, et les régimes, ou les mouvements, les plus réactionnaires du monde non-occidental, n’est pas du tout confiné aux pays majoritairement musulmans. Le gouvernement Trump aux États-Unis coopère aussi très bien ces jours-ci avec le gouvernement actuel de l’Inde, du nationaliste hindoue Narendra Modi. Chacun de ces deux gouvernements a récemment adopté une forme particulièrement féroce de néolibéralisme, favorisant ouvertement les grands investisseurs capitalistes de leur pays respectif, tout en essayant de diminuer, ou d’éliminer complètement, des programmes sociaux visant à soutenir les gens les plus pauvres de chaque pays. Chacun des deux a aussi adopté, simultanément, une sorte de politique ultra-conservateur, ou néo-fasciste, dirigé contre l’ensemble des minorités ethniques et religieuses de chaque pays, autrefois un peu mieux traitées par des gouvernements précédents, autant en Inde qu’aux États-Unis.
Le même genre de collaboration entre le néo-colonialisme occidental et le néo-conservatisme non-occidental se développe également dans toutes les autres régions du monde actuel, telle que l’Amérique latine. Au Mexique, par exemple, les cartels de la drogue de ce pays profitent énormément de la corruption et de la complaisance étatique envers leur violence inouïe, ainsi que du marché énorme pour leurs produits aux États-Unis. Les grandes industries américaines, profitant beaucoup elles aussi des bas salaires des ouvriers mexicains, juste au sud de la frontière américaine, font pression sur leur propre gouvernement pour s’assurer que la répression du trafic de la drogue illégale reste assez efficace pour maintenir les prix des produits illicites assez élevés, mais pas trop efficace pour diminuer de beaucoup ce même trafic.
Parlons aussi du Brésil, où la grande majorité de tous les politiciens sont totalement impliqués dans un énorme scandale de pots-de-vin autour du cartel national du pétrole et de plusieurs autres grandes corporations brésiliennes. Désigné dans des journaux comme “le plus grand scandale de l’histoire mondiale”, cette affaire affecte non seulement la plupart de l’économie brésilienne, mais implique aussi la plupart des autres pays de l’Amérique latine, ainsi que plusieurs dizaines de grandes banques et de corporations industrielles de l’Occident (dont la compagnie britannique Rolls-Royce). Ce même scandale a aussi eu des répercussions néfastes dans plusieurs pays africains. C’est un peu similaire (en beaucoup plus grand) au scandale de la compagnie canadienne de gestion de projet SNC-Lavalin, qui a impliqué plusieurs autres pays en Afrique (dont la Libye du colonel Kadhafi), et qui continue à causer des difficultés majeures encore aujourd’hui pour cette compagnie multinationale.
Cette liste d’exemples de formes de coopération entre le néo-colonialisme occidental, et les régimes les plus conservateurs de l’ancien tiers-monde, n’est pas du tout complète. Il y a encore beaucoup d’autres exemples dans toutes les régions du monde, impliquant toutes les cultures et les religions existantes. Les idéologues du multiculturalisme, toutefois, essaient de nous faire croire que c’est plutôt le “racisme systémique” du néo-colonialisme occidental qui est derrière chaque dénonciation régulièrement effectuée par toutes sortes de commentateurs, de toutes les formes du “fascisme oriental” dans ce monde, telles que le terrorisme islamiste. Selon les fondateurs de cette idéologie, telles que le philosophe canadien Charles Taylor, pour éviter complètement l’influence du néo-colonialisme occidental, chaque culture non-occidentale doit nécessairement rejeter tout le discours moderniste d’origine occidentale, et trouver toutes les réponses de ses problèmes actuels, exclusivement à l’intérieur de sa culture spécifique.
Selon Taylor et ses sbires Michel Seymour et Georges Leroux, en cherchant son salut dans le monde actuel, la communauté musulmane, par exemple, doit obligatoirement ne faire référence qu’aux textes sacrés de l’Islam d’autrefois et n’a pas le droit de profiter des idées “occidentales” de modernisation progressiste. Un point de vue quasiment identique à celui des salafistes actuels. En réalité, cependant, le vrai néo-colonialisme occidental aime bien les idées réactionnaires de ces mêmes salafistes, et celles d’autres mouvements réactionnaires parmi les autres traditions culturelles. Plutôt que d’être éclairant, ce multiculturalisme idéologique est plutôt un bon exemple, avant la lettre, des “faits alternatifs” à la Donald Trump, renversant complètement la réalité et disant exactement le contraire de ce qui se passe vraiment dans ce monde.
Il ne faut pas oublier non plus que dans beaucoup de régions du tiers-monde, ce qu’on appelle souvent des “pratiques culturelles barbares” sont encore très répandues. Des millions d’immigrants provenant des mêmes régions continuent même de pratiquer ces comportements aujourd’hui, à l’intérieur de plusieurs pays occidentaux. Ces pratiques provenant d’une autre époque comprennent des meurtres pour préserver “l’honneur” des familles “trahies” par les femmes adultères, des mariages forcés entre des jeunes filles et des vieux hommes, l’excision du clitoris, la peine capitale pour l’apostasie, la lapidation des albinos et des “sorcières”, et beaucoup d’autres pratiques semblables. Ce qui s’ajoute à la liste “normale” d’autres pratiques aussi barbares que ces régions partagent avec toutes les autres régions du monde, comme la prostitution forcée (l’esclavagisme sexuel), le travail forcé des enfants, les femmes battues, les enfants soldats, les enfants violés par les hommes de leurs familles, ou encore les enfants violés par les prêtres de plusieurs religions différentes, et ainsi de suite.
Pour essayer de lutter contre de telles pratiques, ainsi que de l’ensemble de tous les autres comportements géopolitiques mentionnés plutôt, provenant de toutes les régions et de toutes les cultures du monde, il me semble que c’est la démocratie sociale qui est la réponse la mieux adaptée à régler tous ces problèmes nombreux. Tout en s’assurant, bien sûr, de ne pas empirer l’équilibre déjà très fragile entre le développement humain et la détérioration continue de notre environnement naturel, une détérioration qui, sans être arrêtée, rendrait impossible tout le progrès possible vers la démocratisation sociale. Il faut aussi éviter la fausse démocratie sociale des partis officiellement appelés encore “socialistes” ou “sociaux-démocratiques”, qui ont abandonné ce point de vue depuis longtemps, au profit du néolibéralisme. À mon avis, pour bien mettre en pratique une véritable démocratie sociale dans toutes les régions de notre planète, il faudrait d’abord réduire énormément le très grand écart de revenu actuel entre les classes sociales, c’est-à-dire entre les quelques individus qui gagnent entre 20 et 30 millions de dollars par jour, et les centaines de millions de gens qui ne gagnent encore que d’un ou deux dollars par jour.
Deuxièmement, il faut aussi promouvoir l’égalité réelle entre les hommes et les femmes dans tous les domaines, pour de vrai et pas du tout d’en parler constamment sans rien faire de concret pour la réaliser, comme le gouvernement canadien le fait ces jours-ci. Troisièmement, promouvoir aussi l’égalité de traitement entre toutes les “communautés culturelles”, celles qui sont majoritaires quelque part au monde et celles qui sont minoritaires, à l’intérieur de chaque pays. Plutôt que d’obliger chacune des ces communautés à’ériger des barrières culturelles étanches entre elles, à la manière suggérée par l’idéologie réactionnaire du multiculturalisme.
Pour atteindre ce dernier objectif, il faut renverser la prétention “naturelle” de chaque communauté culturelle à se considérer meilleure que toutes les autres. Le néo-colonialisme occidental doit abandonner toutes ses tentatives de domination politique, économique et culturelle des autres pays. Mais les collaborateurs ultra-conservateurs du même néocolonialisme, provenant des autres pays réactionnaires, comme le capitalisme d’état en Chine populaire, le wahhabisme en Arabie saoudite, le nationalisme hindoue en Inde ou la corruption à la grande échelle au Brésil, doivent aussi abandonner leurs propres prétentions de grandeur régionale, ou même mondiale dans certains cas.
Pour sa part, l’Occident, qui se targue souvent de mieux traiter les femmes et les minorités que n’importe quelle autre région du monde, ne peut plus de nos jours se vanter de vouloir diminuer encore l’écart de revenu entre les classes sociales, comme il l’a fait autrefois pendant les “Trente glorieuses” (1945-1975). Cette prétention occidentale à un meilleur comportement social dans les deux autres domaines de la démocratie sociale peut très bien aussi dépendre davantage de la richesse relative de l’Occident (d’origine néo-coloniale), par rapport aux autres régions du monde, que d’une réelle propension culturelle envers le progrès social. Mais ce qui élimine complètement les prétentions progressistes de l’Occident par rapport aux autres cultures du monde, c’est encore davantage sa politique étrangère, et surtout son alliance continue avec tous les régimes les plus réactionnaires du monde non-occidental, que j’ai évoqué tantôt. Son hypocrisie dans ce domaine est sans équivalent nulle part au monde.
Il reste que toutes les prétentions des autres cultures de ce monde, quant à leur propre supériorité morale vis-à-vis de chaque culture rivale dans le palmarès mondial des supériorités réclamées, ne sont pas plus fondées que celles de la culture occidentale. C’est vrai par rapport à tous les cas de collaboration avec le néo-colonialisme occidental déjà mentionnés, aussi bien que des visées impérialistes, propres, de plusieurs pays non-occidentaux, comme celles du Japon, de la Chine, de l’Inde, de l’Indonésie, de l’Iran, de l’Arabie saoudite, du Maroc, du Nigéria, du Brésil ou de l’Afrique du Sud. Entre autres.
Même des peuples qu’on appelle autochtones ou indigènes se targuent souvent de posséder eux-mêmes de la vraie supériorité par rapport aux autres cultures, par exemple en se vantant souvent de pratiquer des comportements plus écologiques que ceux des cultures rivales. Le problème avec cette prétention, c’est le fait que tous les peuples autochtones sont loin d’être du même avis par rapport à l’environnement naturel (comme tous les autres peuples, d’ailleurs). Dans la confrontation récente de Standing Rock, par exemple, autour de la construction d’un oléoduc en Dakota du Nord (États-Unis), plusieurs groupes autochtones dénonçaient publiquement ce projet, et manifestaient bruyamment contre tout cela, comme il se doit. Malheureusement, plusieurs autres peuples autochtones de la même région ont appuyé fermement ce même projet, pour des raisons économiques, même si leur point de vue n’a pas été aussi souvent diffusé que le message écologique des protestataires. D'ailleurs, on ne peut pas vraiment conclure quoique ce soit concernant le point de vue des milliers de peuples autochtones du monde entier sans effectuer une vraie étude d’envergure mondiale là-dessus. C’est fort probable, toutefois, qu’ils sont aussi divisés, partout où ils se trouvent, que toutes les autres cultures actuelles.
En fait, aucune culture humaine qu’on connaît ne peut vraiment prétendre à une supériorité généralisée par rapport à toutes les autres cultures, au moins sur le plan moral. En ce qui concerne les trois éléments de la démocratie sociale que j’ai mentionné tantôt, aucune culture ne sort du peloton par rapport à une prétendue supériorité morale là-dessus. Le néocolonialisme inter-culturel, impliquant finalement toutes les cultures existantes, ne peut pas être combattu, encore moins éliminé, sans un effort énorme, concerté à l’échelle mondiale entre toutes les cultures. Dans le climat politique actuel, avec la domination idéologique du néolibéralisme et du néo-fascisme, les probabilités pour une résolution positive de cette impasse me semblent très limitées de nos jours.
Pour y arriver quand même, il faudrait réunir tous les efforts des pays et des mouvements indépendantistes, favorables à la démocratie sociale, et les encourager à remplacer la compétition militaire entre les pays par une compétition pacifique, chacun essayant d’aider les gens les plus pauvres et les moins puissants de son propre pays, encore davantage que les autres pays progressistes du monde. Il n’y a que ce genre d’émulation pacifique qui pourrait venir à bout de toutes ces tentatives de domination de la part de toutes les forces réactionnaires de ce monde.
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