L’amalgame à rebours
Depuis les attentants terroristes contre les caricaturistes de Charlie-Hebdo et les autres victimes innocentes, les fantassins de la rectitude politique ne cessent de nous mettre en garde contre la tentation de l’amalgame. Pour ces bien-pensants, le mot amalgame dans ce contexte veut dire la réaction primaire de la part de certains non-musulmans, voulant faire de chaque musulman dans ce monde un fanatique islamique et un terroriste potentiel. Nos partisans de la rectitude dénoncent aussi l’islamophobie, c’est-à-dire la peur déraisonnable de tout ce qui concerne l’islam, dans ses diverses versions modérées aussi bien que dans ses nombreuses versions radicales. Toutefois, ils vont trop loin dans cette direction, accusant de racisme non seulement les islamophobes primaires mais aussi tous ceux qui refusent d’adopter une attitude accommodante envers les intégristes.
Tous ces bien-pensants, au Québec et ailleurs, ont la fâcheuse tendance à toujours vouloir blâmer l’Occident pour tout, même pour tout ce qui relève plutôt des islamistes eux-mêmes. En d’autres mots, ils font ce qu’on pourrait appeler un amalgame à rebours, en essayant de culpabiliser l’ensemble des Occidentaux pour avoir créé les conditions nécessaires à la montée de l’islamisme et de ses dérives terroristes. Or, ça prend un peu plus qu’un terreau fertile pour expliquer vraiment pourquoi les musulmans les plus radicaux ont décidé de passer à l’acte et d’assassiner de plus en plus de victimes civiles, dans des pays occidentaux aussi bien que dans des pays à majorité musulmane.
Bien sûr, il faut quand même reconnaître que l’Occident n’est pas du tout sans faute dans ce dossier. Les dirigeants des empires occidentaux ont souvent envoyé beaucoup de leurs soldats dans des pays musulmans, pendant plusieurs siècles. Leurs interventions les plus récentes, même celles en théorie dirigées contre des dictatures militaires ou contre des mouvements islamistes les plus meurtriers, ont souvent dérapé. Ces interventions ont tué beaucoup de non-combattants et laissé ces pays avec davantage de problèmes que ceux que ces mêmes pays en possédaient auparavant. De plus, le soutien inconditionnel de l’Occident envers Israël, pas du tout conforme à une prétendue neutralité entre l’état sioniste et le peuple palestinien, a laissé une blessure permanente entre l’Occident et l’ensemble des pays musulmans.
À l’intérieur des pays occidentaux aussi, les dirigeants n’ont pas souvent travaillé très fort, parfois pas du tout, pour essayer de bien intégrer les immigrants musulmans. Le résultat a souvent été de créer des ghettos périurbains, dégoûtants, insalubres et sans espoir, pour beaucoup de ces immigrants. Ainsi, il n’y a pas de doute, les dirigeants occidentaux ont effectivement créé un terreau fertile pour l’émergence de dérives violentes, surtout celles d’origine islamiste.
Toutefois, il est absurde, encore davantage qu’autrefois, de tout mettre sur le dos des puissances occidentales. Même si d’un point de vue militaire, les pays occidentaux semblent encore posséder un certain avantage, ce n’est plus le cas du point de vue économique. De nos jours, avec la montée économique de plusieurs pays de l’ancien tiers-monde, il y a autant de millionaires et de milliardaires dans le monde non-occidental qu’il y en a dans le monde occidental. En Asie, en Afrique et en Amérique latine, en dépit des prétentions de leurs politiciens quant à leur indépendance décisionnelle vis-à-vis des grands investisseurs, ces gens riches contrôlent quasiment tout ce qui se passe dans leurs pays, autant sinon plus qu’en Occident. Comme on pouvait s’y attendre, la grande majorité de ces richissismes ont autant tendance qu’en Occident à faire absolument tout pour garder leurs privilèges sociaux, avec tous les moyens à leur disposition. La plupart des dirigeants de ces pays se concentrent aussi fortement qu’en Occident sur leurs “vraies affaires”, ignorant les besoins de leurs populations pour s’occuper exclusivement de leur propre accumulation du capital.
Pour réaliser cet objectif, comme partout ailleurs, ces dirigeants doivent manipuler l’opinion publique, pour convaincre les gens ordinaires à laisser tomber leurs propres revendications sociales. Hier comme aujourd’hui, le moyen de contrôle idéologique de masse le plus efficace, est encore la religion, toujours utilisée par les dirigeants en tant qu’opium du peuple. Ainsi, les terroristes islamistes ne sont devenus que les petits soldats de ces mêmes milliardaires ultra-puissants qui, eux, ne semblent pas aussi croyants que leurs subalternes. C’est quand même l’argent des ultra-riches des pays musulmans qui financent tous les mouvements islamistes les plus meurtriers. Autrefois, quand des idéologies collectivistes d’origine occidentale, telles que le nationalisme et le communisme, possédaient un peu d’influence dans ces mêmes pays, les puissances occidentales ont souvent aidé les islamistes à éliminer cette influence. De nos jours, suite à l’affaiblissement radical de ces idéologies séculières dans ces régions, l’influence que les puissances occidentales possédaient sur ces mouvements religieux, ultra-réactionnaires, a rapidement disparu.
Bien sûr, cet islamisme n’a pas nécessairement grand-chose à voir avec l’islam historique, en tant que tel. Comme c’est le cas de tous les fondamentalistes des autres grandes religions, les islamistes préfèrent ne choisir que les caractéristiques historiques de leur religion qui font leur affaire, laissant tomber d’autres caractéristiques moins intéressantes à leurs yeux. C’est ce qui explique, par exemple, leur opposition totale à toute représentation illustrée du prophète Mohamed, une admonition qui semble avoir été ignorée dans la plupart du monde musulman avant la montée en puissance de l’empire ottoman, au XVIe siècle. La capacité démontrée des terroristes islamistes à convaincre les opportunistes occidentaux à laisser tomber leurs propres principes laïcs, est ainsi devenue une sorte d’idôlatrie à rebours, les militants préférant adorer leur nouvelle puissance militaire davantage que leur Dieu théorique.
Pour toutes ces raisons, nos bien-pensants en Occident font fausse route en essayant de nous culpabiliser quant à l’origine exclusivement occidentale du terrorisme islamiste. Les dévots musulmans ne sont pas des enfants et ils n’ont pas besoin des mères-patries occidentales pour les aider à adopter, ou à rejeter, une version extrêmement violente de leur religion. Ils ont la capacité humaine, comme tout le monde, à choisir entre les idées progressistes et les idées réactionnaires. Ils ont choisi, en toute connaissance de cause, à ignorer l’interdiction officielle de leur religion contre le meurtre, et de tuer des innocents, aussi souvent, sinon plus, que les soldats des armées occidentales.
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